C'est par un mois de juillet morose qu'une échappée cinématographique est parvenue à faire entrer un peu de soleil, d'air pur et de folk dans nos intérieurs grisés.
Un film, raté à sa sortie au cinéma en 2007, en séance de rattrapage sur Arte hier soir, réussi le pari de nous emmener (de nous transporter) en balade méditative et contemplative, entre mélancolie et rêverie. Le tout dans une grande simplicité poétique. L'image, en 16mm, donne au film un cachet désuet mais intemporel. Le scénario, presque banal (deux amis d'enfance partent camper en forêt (pour ceux qui voudraient profiter de la même balade, direction l'Oregon et les fameuses Bagby Hot Springs)), nous plonge au fur et à mesure dans une réflexion introspective. Et la bande son finit de vous caresser les sens. Entre les bruissements des arbres, les chants des oiseaux, les clapotis de l'eau de la rivière, les guitares discrètes mais généreuses de Yo la Tango confortent le film dans une douceur lo fi. Mais c'est surtout la performance de Will Oldham soit l'excellent Bonnie Prince Billy qui surprend. Bien qu'ayant déjà joué dans Julien Donkey Boy par exemple, il s'agit ici de son premier rôle principal. Son personnage Kurt, à la fois émouvant et inquiétant, révèle une extraordinaire habilité de jeu tout en sincérité. Comme dans ses chansons, c'est vif, saisissant et vous touche en plein coeur... Nous restent comme un refrain lancinant ces mots "la tristesse est une joie passée".
Ce film se fait étrangement l'écho de l'oeuvre de l'artiste anglais Richard T Walker. Rappelant souvent les artistes romantiques, son travail combine à la fois une réflexion sur la notion de paysage, sur le pouvoir narratif de la musique folk, sur le rapport étroit entre l'homme et la nature. Si bien que son oeuvre tout comme ce film , au delà d'une vision poétique et phénoménologique de la nature, en propose un anthropomorphisme.
Richard T Walker, The possibility of foreverness, 2011, Fuji Crystal Archive Print., 124.5cm x 76.2cm
Les vacances sont là... Le temps des réjouissances est venu ! Si l'Angleterre n'est pas votre destination estivale préférée, elle peut le devenir si vous êtes à la fois féru d'art contemporain et metal heads autrement dit fan de musique metal ! Ce n'est pas à Londres qu'il faudra vous rendre mais un peu plus au nord, à Wolverhampton, pour commencer, la ville où "au milieu des ténèbres, la lumière vient"...
Au départ un concept, lancé à la suite d'un metal symposium donné en 2007, celui de Home of metal et cette volonté de réunir des archives et autres memorabilias concernant l'univers prolifique de groupes fondateurs du genre issus de la région, à savoir Black Sabbath, Led Zeppelin, Judas Priest, Napalm Death et Godflesh. Puis petit à petit, des critiques musicaux, enseignants universitaires et artistes se sont retrouvés autours de projets ambitieux questionnant cette musique faite de codes (clichés) puissants. Et depuis juin, les événements mis sur pied par cette communauté (emmenée par Capsule, organisation curatoriale) s'enchainent et fêtent dignement les 40 ans dudit mouvement, ce jusq'au 25 septembre.
C'est donc à Wolverhampton que s'arretera d'abord votre périple, et plus précisément à la Art Gallery. L'exposition You Should be living s'intéresse donc aux relations qu'entretient l'art contemporain avec ces musiques extrêmes. Le choix des artistes n'étonnera pas, on se ravit toutefois de (re)voir du Faldbakken et quelques jeunes artistes (parfois locaux) notamment Harminder Judge qui gagnent à être connus. A noter également une étonnante collaboration entre Nic Bullen de Napalm Death et Damien Deroubaix (seul français inclus dans cette exposition...).
premier plan : Jim Faure, Red Skull, 2007
Matias Faldbakken, Untiled (Slayer Upon Slayer Upon Slayer), 2007
A Birmingham, vous retrouverez tout l'esprit nostalgique et curieux de Home of metal avec l'exposition "Home Of Metal: 40 years of Heavy Metal music and its unique birthplace." C'est grâce à Black Sabbath que Birmingham se réclame lieu de naissance du metal (et par extension, raison pour laquelle s'origine en ces contrées le concept global). Le Birmingham Museum présente un ensemble d'objets, de pièces rares, de collections en tout genre, recoltés durant plusieurs années, auprès des fans notamment.
Tout aussi surprenante est cette exposition qui vous menera jusqu'à Walsall au musée du cuir : Hell Bent for Leather. Des tenues de scène, croquis préparatoires et autres accessoires détonnants vous sont présentés. Leur particularité : avoir appartenu à Judas Priest !!! Tout un programme ! Ne quittez pas Walsall sans visiter l'exposition Be true to your oblivion de Marc Titchner à la new art gallery. Cet artiste anglais, ancien nominé au Turner Prize (rappel des galons...) présente un certain nombre de nouvelles pièces. Comme notamment une vidéo avec Nicholas Bullen (encore !), une bannière reprenant une phrase extraite d'une chanson de Judas Priest (faisant ainsi le lien avec le musée du cuir). On retrouve également des pièces plus emblématiques de sa pratique, aux jeux optiques duchampiens forts. "Ergot Ergot" se joue ici du logo du label ayant lancé les Black Sabbath. La boucle est bouclée !
Mark Titchner, Ergo Ergot, 2006
Ce qu'il faut retenir de cette programmation riche (il y a aussi des conférences, un week-end special en septembre, d'autres expositions à venir comme The Art of Noise), c'est la richesse, la pugnacité et l'intelligence du projet. Porter un regard plus historique voire analytique sur une musique souvent dénigrée permet de l'élever... Si l'influence qu'ont pu avoir Led Zeppelin ou Black Sabbath sur la culture populaire d'une part mais aussi sur les arts visuels n'était pas à prouver, cette entreprise a permis également de voir éclore d'autres symposiums notamment l'excellent Black Metal Theory et son journal Helvete qui sera publié début 2012. Le metal est enfin pris au serieux...
Si l'angleterre n'est pas incluse dans vos virées estivales, petit sauvetage :
La persévérance est une notion quasiment devenue désuète aujourd'hui, à l'ère de l'instantanéité, de l'immédiateté et du renouveau constant. Qu'en est-il du travail ascétique, du dévouement sacerdotal, de l'acharnement sincère à une cause ? Certains pourtant consacrent leur vie à leur oeuvre sans relâche, ni hésitation. Ils poursuivent malgré tout un chemin qui pourrait les mener vers la providence. La grandeur de cet acte ne dépasse-t-il pas au fond l'oeuvre elle-même ?
Le groupe (déjà, ou en devenir) culte canadien Anvil force à ce sujet le respect. Une carrière de plus de 34 ans, 14 albums, un nombre incalculable de concerts et, malgré tout, une notoriété toujours à faire. Si la musique produite par ce groupe oscillant entre heavy, speed et trash metal a inspiré beaucoup d'autres groupes, la force principale de celui-ci est sa ténacité, sa pugnacité. Ce que le documentaire Anvil! The story of Anvil montre bien d'ailleurs. Il y est avant tout question d'amitié indéfectible, de considérer la musique comme sacrée et de s'y dévouer corps et âme. Si le film semble parfois trop romancé, il nous met face à la plus honnête et sincère posture de l'artisan musicien qui, par sacrifice et maintien infaillible d'un rêve, devient artiste majeur.
Le dernier album du groupe Juggernaut of Justice vient de paraître et ces forgerons de l'extrême seront sûrement sur votre chemin cet été... Ils semblent suivre la même carrière qu'Elaine Sturtevant qui connait enfin à ses 81 ans une ultime consécration en pouvant serrer contre elle un lion vénitien...
La caricature permet de dire le vrai par le biais de l'exagération, de la saturation, de l'amplification. Elle s'emploie par volonté de dépasser le signe, ou par dénigrement. Certains s'en font leur arme, d'autres l'utilisent sans que l'on soit vraiment sûrs de leurs intentions.
Dans l'art contemporain comme dans la musique, le grotesque pourrait bien faire son retour. Keith Tyson, artiste anglais passionné par les questions existentialistes, physico-mathématiques, s'efforce de comprendre la nature humaine par l'art et la science... Les sculptures qu'il présente actuellement à la galerie Vallois, ses contemporary grotesques, sont bien plus complexes qu'il n'y parait. Si Alienating s'interesse à l'attitude gothique, il lui permet d'accéder, par l'étrangeté, à une certaine forme de beauté. Que ce soit en nous présentant une femme anorexique en train de danser, une geisha chevauchant un morse ou ce gothique tendance "vampyre" aux piercings et "new rock", symboles indentifiables du mouvement, Tyson nous propose sa vision des gargouilles modernes. Ces oeuvres, toutes recouvertes de carbone (élément constitutif de toute chose), nous incitent, au-delà d'une esthétique frôlant le kitsch, à une réflexion scientifique sur l'être et son rapport à l'univers.
Alienating, 2009, résine et graphite, 58,5 x 60 x 55 cm, édition de 3
En musique, depuis quelques mois, c'est le groupe Ghost qui, de manière mesurée ou non, incarne le renouveau grotesque. Difficile de se faire une idée sur ce groupe suédois mené par des anonymes, intronisé par Fenriz de Darkthrone, plébiscité par les uns, et dénigré par les autres. A l'instar de Keith Tyson, Ghost a l'intelligence d'user de l'artifice pour déployer leurs idées. La pochette de leur Opus Eponymus donne le ton. Très revival dans leur approche musicale, ils parviennent néanmoins à nous séduire. Si la recette a déjà fonctionné (corpse paint, costume papal (vu chez Portal), riffs 70's), il faut bien avouer que la caricature qu'ils dressent permet de voir au-delà des codes.
Au regard de ces deux propositions, on ne pourra que se souvenir que l'habit ne fait pas le moine... et que derrière le décorum, l'ornement, on accède aux questionnements. Celui qui nous fait réfléchir nous fait déjà avancer.
En octobre dernier, on se demandait si le groupe américian Liturgy ne pouvait pas être le nouveau visage du Black Metal... La réponse définitive, entière, certaine et indubitable est affirmative.
Leur nouvel album Aesthethica (mal orthographié une fois sur deux) est tout simplement une révélation, quasiment une théophanie. Rares sont les moments comme ceux là où les choses semblent si évidentes. Enfin un groupe qui pousse les limites de la musique, qui réinvente les genres supposément connus, qui fait avancer l'histoire en somme. Enchainant brillamment les morceaux, du puissant High Gold à l'intense souffle instrumental Generation (quasiment un seul et même accord sur 7 mn), les obsédants chants liturgiques laissent place aux constructions mathématiques et complexes de Sun Light, laissant glisser ensuite le lubrique Red Crown, l'album est si intelligemment construit qu'il interroge à chaque note nos croyances les plus profondes. Si la musique est savante, elle n'en est pas moins sensible.
Aesthethica tente une combinaison de l'esthétique, du beau à l'ethique, le bon, et reprend ainsi Wittgenstein pour qui les deux "ne font qu'un". Au regard de la pochette, réalisée par Hunter Hunt-Hendrix, le chanteur, le bon correspondrait à la croix latine, et le beau serait la croix inversée. Voir la beauté dans le mal et la révéler serait l'ambition principale du groupe ou comment, en réinvantant les codes du Black Metal (apophatisme), ils parviennent à acceder à une certaine idée de la transcendance (notion inhérente au groupe lui-même). L'écoute de cette oeuvre s'apparente à une vision intellectuelle, ébranlant jusqu'à nos facultés d'entendement.
En attendant une prochaine tournée en France à la rentrée, on a pu goûter aux rejouissances sonores de Hunter Hunt-Hendrix lors d'une performance puissante qu'il a donnée à la galerie Olivier Robert en début de mois. Un veritable lucernaire avant la grand-messe...
John Lennon se demandait comment entrer dans l'histoire (en étant plus célèbre que Jésus par exemple), il s'oppose toutefois à la muséification en affirmant que dès qu'on l'aura mis dans un musée, tout sera fini. Contradictoire ?
Le rock a fini, au dépend de sa contemporanéité, par s'institutionnaliser, passant de la sous-culture au monde élististe et bien pensant. Ses memorabilia et autres objets cultes (même des places de concerts le sont) deviennent des reliques à vénérer, placer sous cloches de verre. Mais, finalement, le culte de la personnalité incarné par les icônes rock n'est qu'une amorce logique à la fétichisation et du coup à l'entrée du rock dans les musées. On se demande alors si le rock ne voit pas à nouveau sa mort refaire surface...
A ce sujet, Stéphane Malfettes a réalisé entre février et avril 2011 un "American Rock Trip", un périple musical et muséal de Seattle à New York, dans le but de visiter pas moins de 30 institutions dédiées aux cultures populaires, du mythique Rock and Roll Hall of Fame au sinistre Roy Orbison Museum. Son périple passionnant qui fera vraisemblablement l'objet d'un livre, est résumé en quelques étapes clés ici.
Itinéraire de l'American Rock Trip de Stephane Malfettes
Il raconte par exemple sa rencontre improbable au Thomas Edison Birthplace Museum avec Robert Wheeler de Pere Ubu qui n'est autre que le directeur du musée en sa qualité d'arrière-arrière-petit-neveu.
En parlant de Pere Ubu, on constate que les oeuvres muséales peuvent être juste sous nos yeux... Deux icônes No Wave se sont produits tels des mirages fulgurants sur la péniche du Batofar Rhys Chatham et Pere Ubu...
David Thomas de Pere Ubu au Batofar
Rhys Chatham n'a pas toujours besoin de 100 guitares
Glenn Branca jouant sur une guitare à deux corps (2007) permettant selon lui d'obtenir, grâce à la longueur des cordes, des harmonies spécifiques amplifiées par les doubles micros.
Bas Koopmans, Stereo, 2009
Naama Tsabaar, Doublecherryburst, 2010
N'est pas toujours artiste celui que l'on croit...
Vous en avez un peu, êtes en train, et allez surtout entendre parler de l'artiste canadien Steven Shearer...
Self, Steven Shearer
Alors que la Biennale de Venise, s'apprête à ouvrir ses portes, l'artiste dévoile déjà le contenu de son pavillon. Prendre possession des lieux, l'assumer et non l'abstraire aux oeuvres, telle est son ambition.
A l'entrée du pavillon, on retrouvera un de ses abris de jardin. Elément récurrent dans sa pratique, entre ode à la vie suburbaine et fantasme adolescent du lieu secret. Bien sûr seront présentés également ses fameux Poem dont un spécifique Poem for Venice composé comme à son habitude de paroles extraites de chansons de Death Metal.
1900 (Man Sitting), huile sur toile, 2005
Steven Shearer est un obsessionnel, il collectionne, accumule, répète (comme l'a très bien démontré le texte A lad Insane dans le journal Particules #23). Mais pour Venise, il ne parlera pas de Leif Garret (une figure récurrente de son oeuvre, une muse). Des adolescents aux cheveux longs hanteront pourtant bel et bien l'espace. On pourra notamment voir ou revoir la sublime peinture 1900, pièce emblématique de sa production. Il présentera donc un ensemble de 60 dessins sous boite de verre, 12 peintures de petit format et bien sûr une installation. Fait intéressant : les dessins qui seront présentés ont été réalisé dans un café proche de son studio qui pourtant lui offre toute la place nécessaire (1000 m2) ! S'il aime la simplicité et la spontanéité, il est à noter que lui-même est loin d'être imbus de sa personne et s'il refuse d'être photographié, c'est en parti (par timidité sans doute) pour conserver toute neutralité.
La musique coule dans ses veines vous l'aurez compris, souvenir de ses heures passées à égrener sa guitare dans le sous-sol de la maison familiale, sous-sol qui lui a également servi à aiguiser son coup de crayon. Et c'est tout naturellement que le journal C.S (fanzine mêlant art contemporain et musique extrême) l'a invité, à la suite du numero 2 consacré à Elodie Lesourd et sa relation au Black metal, pour son nouveau numéro.
journal C.S. , issue #3
Vous n'avez pas fini d'entendre parler de Steven Shearer (en 2013, la National Gallery de Londres s'offre à lui). Enfin !!! Et tant mieux !