dimanche 18 octobre 2009

The Fiery Furnaces / Tori Amos / Shannon Wright : et la Femme créa Dieu.

Les pionniers tels que Chuck Berry, Gene Vincent ou Jerry Lee Lewis ne l’avaient sans doute pas prévu, pas vu venir, pas même imaginé sans doute. Que les femmes, un jour, incarneraient le rock, en deviendraient les figures de proue, se transformeraient en divinités malfaisantes. Pourtant les symbolistes, à la fin du XIXe, les avaient mis en garde, avec raison. La Femme, vénéneuse, séductrice, inacessible, dominante, ils la craignaient. La désiraient, aussi.

A l’heure où le Centre Pompidou inaugure une présentation de sa collection consacrée aux artistes féminines, on peut s’interroger si la question du sexe, voire de la sexualisation de la culture est un critère déterminant dans l’appréciation de celle-ci dans nos sociétés occidentalisées ? Se poser la question reviendrait-il à répondre par l’affirmative ? Oui, sans doute. Mais comme il est étrange de se demander si la nationalité apporte une dimension pertinente à la lecture des oeuvres. Et quid de l’âge, du milieu social, des troubles psychologiques éventuels, de l’orientation sexuelle, du physique, de la résurrection de Sainte-Beuve ?

Alors oui, trois femmes ont enflammé Paris en cette rentrée, donnant une démonstration de rock dans des acceptions pourtant nettement différenciées. Eleanor Friedberger de The Fiery Furnaces ouvrait le bal le 23 septembre à la Maroquinerie. Dans une posture féministe typée 80’ à la Patti Smith, attirant par un charisme ce qu’elle semblait vouloir rejeter de sexualisation, la soeur de Matthew ne semblait pas capable d’échapper à son statut. Mais le souhaitait-elle seulement ? Rock déconstruit (du Derrirock ?), transfiguré vers l’essentiel, minimalisé, dans une beauté qui fuit le regard sous le joug de l’efficacité. The Fiery Furnaces, c’est la Cité Radieuse de Le Corbusier : on ne se rend pas compte à quel point c’est construit, intelligent, utile et esthétique. Ca à l’air indigeste. C’est un chef-d’oeuvre.


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(photo achablive)

C’est sûr que Tori Amos au Palais des Congrès le 3 octobre jouait sur un autre registre. Dimension sexuelle assumée et affichée, Tori Amos s’amuse de son icône, désignée prêtresse du Purgatoire, entre beauté du Diable et peur du Paradis. Un rock élégant, troublant, fascinant, réhabilitant le piano comme élément premier du rock avant même la guitare. Certes, l’embourgeoisement doucereux accentué par le contexte couvre quelque peu l’imagerie dérangeante de la satanique chanteuse, une Mother Lucifer qui a choisi le travestissement pour mieux séduire et tromper. Comment ne pas être, à notre tour, en entendant sa voix, tentatrice, « abnormally attracted to sin » ?

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En ce qui concerne la dernière de notre triade/triumvirat, la question ne se pose pas dans les mêmes conditions. Shannon Wright est rock. Originel, charnel, puissant. Elle sait, sur sa Jazzmaster, qu’avoir un tel jeu au doigt a coûté son âme à Robert Johnson. Elle ne semble pas y prêter une attention particulière. Comme à rien d’autre d’ailleurs que sa musique. Nerveuse, tendue, sombre et attirante, sans être séductrice, aux (ch)armes cachées, comme un rappel de ce qu’a été et doit continuer d’être le rock depuis 55 ans. Une leçon de fusion musique/interprète jusqu’au trouble. Une violence intérieure, intégrée, débordant parfois de cette Méduse menaçante.

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Trois femmes comme autant de possibilités d’envisager un avenir radieux pour le rock. Trois expressions de la Terribilità. Trois débordements qui attirent vers le gouffre. Trois incarnations décrivant une nouvelle Trinité. Forcément inversée... et renversante.

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